Un bistro de moins ! Certes, mais faut-il s’en réjouir ? Avec la disparition de la “prestation bar’, comme dit la Coccinelle, c’est à nouveau un de ces lieux de convivialité particulière qui disparait. Celui de ces petits troquets, où l’on venait s’asseoir, souvent en compagnie de copains de toujours (“Salut Roger !”) pour faire son loto, étudier ses chances supposées aux courses, se plonger dans la page des derniers faits divers.
Je venais, au début des années 50, acheter un paquet de gros “gris” pour mon père, au Jean Bart, au coin de la Grand’Rue et de la rue Arsène-Orillard ; je crois que ça valait dans les 5 francs d’alors ; on disait encore couramment “cent sous”.
J’y retrouvai des silhouettes devenues familières, attablées, le crayon à la main, avec un Paris-Turf, rêvant à la fortune hippique toujours enfuie, buvant sans doute un de ces breuvages dont on voyait l’affichette de couleurs vives derrière le bar, aux noms pleins d’une poésie mystérieuse, comme le Claquesin ou le Berger, que l’on était invité à boire à midi et à sept heures (du soir évidemment).
Le Jean-Bart n’est plus le Jean-Bart, tel que je le revois encore, mais la distribution de presse est encore assurée et comprend le tabac : c’est mieux qu’une disparition complète ; mais dans quel paradis perdu sont désormais installées les deux ou trois tables de ce bon vieux formica d’alors, avec leurs banquettes recouvertes de ce faux cuir que l’on appelait de la moleskine (!) sur lesquelles se retrouvaient entre habitués, les petits vieux encore valides qui avaient là l’étape principale de leur ballade solitaire du jour ?
Je n’en prends pas mon parti, et sans avoir jamais vraiment fumé et ni avoir joué au PMU, j’ai à cœur désormais, chaque mercredi matin, de traverser la place du Marché jusqu’en face de la poste, pour un furtif petit pélerinage au St-Claude qui maintien ferme la tradition de la “multiprestation” et où j’achète mon Canard Enchaîné.
Et peut-être, si je sens une menace commencer de peser sur la pérennité du lieu, que j’y viendrais chaque matin prendre, accoudé au zinc, un café accompagné d’une tartine au beurre symbolique d’une résistance probablement sans espoir.